Ouvrir le feu

Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».

Date de publication : 8 novembre 2019
Format : 16 x 20 cm
Poids : 1220 gr.
Nombre de pages : 792
ISBN : 979-10-92444-77-3
Prix : 30 €

Édition établie, annotée et présentée par Élisa Sclaunick.

Extrait de la préface d’Élisa Sclaunick :

Par le biais de cette correspondance, Pierre Matisse est le spectateur privilégié de la fabrique de 1’œuvre : Joan Miró rend précisément compte de la progression de son travail, de sa manière, de la façon dont il crée. Il est plaisant de voir se dessiner un mythe forgé notamment par Michel Leiris amusé du contraste entre cet artiste et son voisin de la rue Blomet, André Masson : Joan Miró est très ordonné, très organisé dans son travail, capable de prévoir son travail à l’avance, de suivre le rythme qu’il s’est fixé, comme il le répète souvent à Pierre Matisse, peut-être pour rassurer en lui le marchand désireux de faire des expositions et de réaliser des ventes. Joan Miró livre un commentaire de son œuvre au présent. Dans sa lettre du 16 novembre 1935, il explique travailler sur des peintures de très petit format, « besogne très aride », en même temps qu’il fait des « gouaches, des temperas, des aquarelles et des dessins pour [s]e délasser et pour éviter toute trace de fatigue qui serait nuisible à la fraîcheur de réalisation et de conception [qu’il] veu[t] conserver ». Il rend compte de la nécessité de rester en possession de toutes ses œuvres pour « rester dans un certain état d’esprit et un point d’appui et un tremplin d’où se lancer », tout en assurant à son ami qu’il espère que « cette série sera très négociable ». La démarche explicative de Joan Miró semble ici destinée à lui permettre de ne pas livrer tout de suite ses travaux à son marchand ; mais le peintre s’engage dans une explication de ce délai, toujours animé par un désir pédagogique pour qu’il n’y ait pas de malentendu avec celui qui le représente. C’est d’ailleurs parfois seulement ce désir de communiquer sur son œuvre qui est exprimé, sans nulle considération à propos de la valeur marchande de ce qu’il produit, sans que perce une inquiétude sur un délai à obtenir.

Les auteurs

Pierre Matisse (1900-1989), fils d’Henri Matisse, est un marchand d’art franco-américain spécialiste de l’art moderne. Il consacra sa vie à faire connaître des peintres tels que Miró ou Chagall, dont il exposait les œuvres dans sa galerie de New York.

Joan Miró (1893-1983) est un peintre, sculpteur, graveur et céramiste espagnol. D’abord influencé par le cubisme et le fauvisme, sa rencontre avec des artistes tels qu’André Breton fera de lui l’un des représentants du mouvement surréaliste.

Le site de la Fondation Joan Miró de Barcelone

Dossier à propos de Joan Miró sur le site du Centre Pompidou.

Presse

Articles de :
Jean-Paul Gavard-Perret, « Le Salon littéraire »
Philippe-Emmanuel Krautter, « Lexnews »
Josep Massot, « El Pais ».
Fabien Ribery, « L’Intervalle »
Pierre Ruault, « Critique d’art ».
Luciana Spina, « Ligeia ».
[sans nom d’auteur], « Librairie Attitude »

El Pais / Matisse-Miró
Ligeia / Matisse-Miro
Critique d’art / Matisse-Miro
Lexnews / Matisse-Miro

Extraits

Pasaje Crédito 4
Barcelone (Espagne), le 29 Avril 1934.

Mon cher ami ; Je suppose que vous avez reçu une lettre que je vous ai écrite il y a quelque temps en vous priant aussi d’en faire suivre une pour Mc. Bride.
Je ne vous avais encore rien écrit au sujet du contrat, car j’attendais des nouvelles de Pierre concernant la confirmation à votre câblegramme.
Suis très heureux, mon cher Matisse, de vous céder une partie de ma production. C’est vous qui avez toujours organisé mes expositions en Amérique, pays qui me semble avoir un bel avenir pour nous tous. Vous savez aussi l’amitié que j’ai pour vous depuis longtemps, celle que j’ai pour votre beau-frère et pour Mme Duthuit (16) et mon admiration pour Matisse. Tout ceci fait que je suis vraiment heureux de voir ma production partagée entre vous et Pierre Loëb, avec qui me lie depuis des années la plus profonde amitié.
Je me rends cependant parfaitement compte que ce n’est guère facile de s’occuper de ma peinture et qu’il faut avoir presque autant de courage que celui qu’il me faut pour travailler. C’est par dessus tout une foi absolue celle qui doit nous guider à nous trois ensemble, Pierre Loëb, vous et moi. Vous, fils d’un très grand peintre, savez mieux que moi ce que représente la vie d’un artiste, et vous avez été témoin de la vie de lutte et plus tard de sa réussite éclatante.
J’ai proposé ce contrat en des conditions très modestes en étant donné les difficultés de ces temps ; et les sacrifices que nous devons faire nous tous, chacun de son côté, pour pouvoir un jour nous imposer. Pierre, de son côté, m’a toujours courageusement soutenu, sans jamais me délaisser, et lorsque les difficultés se sont accentuées nous avons pensé à vous sûrs de trouver un nouveau collaborateur et d’ouvrir ainsi une nouvelle phase à notre offensive. Je ne doute point que c’est toujours de commun accord et dans la plus étroite collaboration de nous trois que nous agirons.
Voici ce que j’ai fait depuis la série de grands tableaux que vous avez exposés dernièrement.
a) une série de dessins
b) ‘’ ‘’ ‘’ petites peintures
c) ‘’ ‘’ ‘’ dessins sur diverses matières
d) ‘’ ‘’ ‘’ pastels
e) ‘’ ‘’ ‘’ dessins et gouaches
à partir du 1er Avril : quelques pastels de la série d. et la série e.
Je prépare pour cet été une série de grandes gouaches et une série très importante de peintures format 30 et 40.
Pour plus tard, de nombreuses peintures, dessins, aquarelles, dessins à l’encre de Chine, etc. le tout pour aboutir à une importante série finale de peintures qui pourra représenter, j’espère, le brillant épanouissement d’une nouvelle étape, comme les peintures exposées chez vous la représentaient d’une autre, mais pour arriver à laquelle il me faut une très longue préparation.
Tout ceci sont des projets qui, quoiqu’ils ont le maximum de chances de [se] voir réalisés, peuvent cependant être variés.
Vous voyez bien que je travaille toujours beaucoup et d’une manière très variée ces derniers temps. Vous n’avez donc pas à vous inquiéter, permettez-moi de vous le dire, pour mon travail, le travail est un besoin de mon existence, et même aux moments où je ne travaille pas apparemment, je pense à ce que je fais ou à des nouvelles réalisations.
Voudriez-vous avoir l’extrême gentillesse de m’écrire le plus tôt possible quand pensez-vous aller à Paris cet été pour que je puisse être là aussi et nous voir les trois ensemble pour parler longuement de ce que nous devons faire. J’aimerais, autant que possible, être déjà de retour en Espagne vers la fin Juin. Nous parlerions aussi pour que vous veniez chez nous cet été, Mrs Matisse et vous, ma femme et moi en serions ravis.
Voudriez-vous aussi me confirmer cette lettre par laquelle je cède à partir du 1er Avril 1934 et pour une année ma production, pour Deux mille francs par mois (Frs.2.000), production que vous partagerez avec Pierre Loeb, qui réservera pour lui un quart sur les trois quarts que vous prendrez.
À l’expiration du contrat, qui pourra être renouvelé à mon gré d’année en année avec préavis de trois mois de part et d’autre, je me réserve le droit de céder à Pierre Loëb la moitié de ma production, s’il le désire.
Pour le partage vous vous entendrez et vous mettrez d’accord avec Pierre Loëb.
Je vous prie d’envoyer tous les premiers du mois et à partir du 1er Avril 1934 un chèque à mon ordre de Francs mille cinq cents (Frs. 1.500) à Pierre Loëb qui les versera à mon compte de Banque.
Le 2 Mai Zervos fait une petite exposition à la rédaction de Cahiers d’art qui doit coïncider avec l’apparition du numéro que cette revue me consacre ; il exposera les dessins de la série a. et quelques toiles anciennes, ce qui, je crois, éveille un intérêt et m’a semblé une bonne tactique (17). Je serai à Paris pour cette date, mais seulement pour deux jours.
En attendant le plaisir de vous lire, je vous serre cordialement la main et vous prie de croire à mes sentiments les plus cordiaux,
Miró

[mai 1934]
Mon cher Miró,
Excusez-moi de ne vous avoir pas informé plus tôt du mode définitif que nous avions adopté Pierre et moi, pour nous partager votre production de Janvier à Mars 1934. Étant donné la difficulté à disposer de sommes liquides, j’accepte avec plaisir votre suggestion de vous verser les trois mensualités supplémentaires en plusieurs fois. Je propose de vous verser chaque mois la somme de deux mille francs pendant neuf mois à partir du Ier. Août. Pour les collages que vous aviez offert de céder à Pierre et à moi pour une mensualité, leur intérêt est pour moi purement artistique et j’ai pensé que peut-être vous voudrez bien les faire entrer dans le lot de Janvier-Mars 1934. À tous hasards nous les avons partagés Henriette (18) et moi et avons chacun notre lot. Dans le cas où vous préféreriez les garder vous n’aurez qu’à les réclamer à la galerie Pierre où mon lot se trouve à l’exception d’un dessin que je crois avoir ajouté à mon expédition.

Je ne puis faire votre exposition avant le mois de Janvier. C’est après Novembre un des meilleurs moments de la saison. Cela me donnera le temps nécessaire pour trouver un encadrement approprié et, ce qui est aussi très important, nous permettra d’ajouter quelques-unes des œuvres que vous ferez d’ici là qui, vous m’avez dit, seront plus importantes que celles que vous avez rapportées cet été. Je vous demanderai de bien vouloir les envoyer à Pierre tout au début Décembre pour qu’à son tour il puisse me les faire parvenir à temps.

Par le même courrier je fais déposer à votre banque la somme de quatre mille francs pour les mois Août-Septembre.

Mr. McBride vient de m’envoyer un mot pour me dire qu’il avait reçu son aquarelle et qu’elle lui plaisait beaucoup. Je lui ai donné votre adresse, il doit vous écrire.

Espérant avoir de vos bonnes nouvelles bientôt et en vous priant de me rappeler au bon souvenir de votre femme je vous serre la main très cordialement.
Votre,
[Pierre Matisse]

Pasage crédito 4,
Barcelone (Espagne), le 11/5/1934

Mon cher ami ; j’espère que cette lettre vous parviendra à temps avant que vous partiez. C’est pour vous dire qu’en Août et Septbre il y aura au Kunsthaus de Zurich une grande exposition avec quelques sculpteurs et deux peintres – Max Ernst et moi (19).
Il nous faudrait donc avoir les grandes toiles et les petits panneaux pour les exposer, car il s’agit d’une exposition très importante. J’avais déjà dit à Pierre de vous l’écrire ou de vous envoyer un câble.
Je ne serai donc pas à Paris qu’à la fin Juillet pour aller ensuite à Zurich, où j’espère que vous viendrez aussi.
J’ai été à Paris ces jours-ci pour cette exposition que « Cahiers d’Art » a organisée – dont je vous envoie ci-joint une carte. On a aussi exposé quelques toiles anciennes et les dessins que j’avais faits cet été.
Le numéro de « Cahiers d’Art » est très bien, vous l’aurez déjà reçu.
Les Ballets Russes sont à Barcelone en ce moment, il paraît qu’ils avaient l’intention de me commander un nouveau ballet, mais ils n’ont rien dit.
Avez-vous reçu une lettre que je vous ai écrite il y a quelques jours ?
Bien affectueusement votre,
Miró
P.S. – Faites-moi signe dès que vous serez à Paris.

Pasage crédito 4,
Barcelone (Espagne), le 11/6/34
Mon cher Matisse, je suis heureux d’avoir votre lettre du 8 et de vous savoir en Europe. C’est dommage que vous partiez si tôt en Amérique et que vous ne puissiez pas venir passer quelques jours avec nous à Montroig – qui est un pays merveilleux – et à Zurich pour voir l’exposition au Kunsthaus.
Il faudra que vous, Zervos, Pierre et moi nous occupions sérieusement de cette exposition dès que nous aurons les dimensions de la salle et commencions à établir une liste de tableaux que l’on doit exposer. Il sera aussi nécessaire d’exposer quelque tableau ancien important pour expliquer un peu l’évolution de ma peinture. Il faudra peut-être nous adresser aussi à quelque amateur pour obtenir des pièces importantes.
Dites-moi exactement quand partez-vous en Amérique, car il faudra que nous nous voyions avant, vous, Pierre et moi. Je compte être à Paris avec mes choses récentes vers le 20, pour être à Zurich un ou deux jours avant mon exposition (1er Août).
S’il faut avancer la date de mon arrivée à Paris je le ferai pour que je puisse vous voir et vous montrer mes dernières choses.
J’ai énormément travaillé et j’espère qu’il en sortira quelque chose de tout cela.
Je trouve très bien que vous pensiez faire une nouvelle exposition à NY. Quand nous nous verrons il faudrait trouver un moyen pour que je vous cède à bon compte toutes les œuvres faites à partir des grands tableaux et jusqu’au 1er Avril (commencement du contrat), ce qui vous permettrait de mieux mener à bout une offensive.
Voudriez-vous avoir l’amabilité de verser à mon compte n° 9.655 du Banco de Bilbao – 29 avenue de l’Opéra – les montants des mensualités du contrat – Avril, Mai, Juin –. Frs. 4.500. ?
Avec toute mon amitié,
Miró
Voudriez-vous me donner l’adresse de Mc Bride et me dire s’il est à N.Y. pour lui expédier une gouache que je garde pour lui ?

« Villa Enriqueta »
Son Armadams
Terreno
Palma de Mallorca (Espagne)
le 16.7.34.

Mon cher ami ; J’espère que vous allez et que votre séjour en Europe ne vous a pas été trop désagréable.
Je suis venu ici me reposer pour quelques jours chez mes beaux-parents et pars au début de la semaine prochaine continuer mon travail, qui se présente bien.
Le directeur du Kunsthaus de Zurich m’a écrit que l’exposition qui devait avoir lieu le 1er Août n’aura lieu que vers la fin Août. C’était mon intention, en allant à Zurich pour le 1er août, [de] passer par Paris avant votre départ et [d’]avoir le plaisir de vous y voir et [de]vous rapporter mes dernières choses, mais comme en me rendant à Zurich vous serez déjà parti en Amérique, je n’irai à Paris qu’au début d’automne avec, en plus, ce que j’aurai fait cet été. C’est vraiment dommage ce retard en l’exposition de Zurich, de l’avoir su auparavant je serais venu à Paris en Juin et vous auriez pu venir à Montroig chez nous, ce qui nous aurait fait un grand plaisir, à ma femme et à moi. Il faut espérer que la fois prochaine nous aurons plus de chance.
Je vous écrirai de temps en temps en vous tenant au courant de mon travail, qui suit assez exactement le rythme que je vous avais indiqué. Je me permets de vous dire de ne point vous inquiéter, je crois être en très bonne forme, mon travail est très varié et ma production très abondante en ces moments. Pour cet été, tout se présente bien aussi, vous pourrez avoir donc cet hiver de quoi ouvrir le feu.
Je serais aussi très heureux d’avoir de vos nouvelles et de savoir comment ça va en Amérique. Dites-moi si vous revenez cet hiver pour que je vous voie à Paris.
Je me permets de vous rappeler de trouver un moyen pour que je puisse recevoir tous les mois la mensualité stipulée dans notre contrat.
Vous me rendriez service, avant de partir, de verser à mon compte n° 9 :655 du Banco de Bilbao, 29 Avenue de l’opéra, les 1.500 frs du mois de Juillet, car il faut que je me procure du matériel pour travailler cet été.
Je vous souhaite, mon cher ami, un bon voyage et une bonne chance.
Avec toute ma plus sincère amitié,
Miró

télégramme de Joan Miró à Pierre Matisse, envoyé de Palma le 20/07/1934 : « Arrive mercredi avec peintures »

Villa Enriqueta
Son Armadans
Terreno
Palma Mallorca, 20/07/34

Mon cher ami, Je vous confirme ma dépêche que je viens de mettre à la poste – comme je vous dis, arriverai mercredi prochain. Vous attendrai à 11 ½ h. aux Deux Magots ; vous pourriez déjà vous mettre d’accord avec Pierre [Loeb] et Zervos et fixer ensemble une heure, au début de l’après-midi, pour que je puisse vous montrer ce que j’apporterai. J’estime qu’il est de grand intérêt pour vous tous, que, avant que vous emportiez tout ça en Amérique, quelqu’un puisse le voir à Paris, et créer ainsi une certaine atmosphère.
Si je vous ai dit, mon cher Matisse, que je ne pensais rapporter toutes ces choses qu’au début d’automne, avec ce que je ferai cet été, c’est parce que je pensais que vous en auriez nullement besoin pour le moment, pas avant le partage d’Octobre, comme vous m’aviez dit cet hiver, aussi je pensais que vous reviendriez peut-être cet hiver, ce qui m’aurait proportionné le loisir de vous voir.
J’ai mieux préféré de venir avec les toiles que de vous les expédier, car il faut qu’il existe la plus étroite collaboration entre nous.
C’est dommage que le retard en l’exposition de Zurich ait empêché mes plans du début : sans ça je serais venu en Juin à Paris, et vous auriez pu venir aussitôt après à Montroig.
À bientôt donc.
Avec toute ma plus sincère amitié,
Miró

à Paris je logerai à
« Hôtel Recamier »
3, place St Sulpice

Espagne
(Tarragone)
Montroig, le 12 Octobre 34

Mon cher ami, je vous accuse réception de votre aimable lettre du 17 Septembre avec un avis de ma banque de votre versement de Frs. 4000.
Pour ce qui concerne les collages que j’avais faits il y a un an, j’ai déjà écrit à Pierre Loeb en lui disant que je vous les cède, en les faisant rentrer dans le lot de Janvier - Mars 1934, pour que vous puissiez faire le partage. Pour les trois mensualités supplémentaires, je suis bien d’accord à ce que vous me versiez deux mille francs pendant neuf mois à partir du 1er Août.
Je trouve très bien que vous ayez remis mon exposition pour le janvier 1935 (20), c’est très important que vous exposiez aussi ce que j’ai fait cette saison été-automne.
a. Grandes gouaches
b. Papiers émeri
qui n’ont cependant rien à voir avec les précédents
c. Grands pastels
Ces pastels sont très peints. J’ai l’intention de les fixer très solidement, ne vous inquiétez donc pas vous pourrez faire une exposition très variée, avec des tentatives très diverses et qui auront, j’espère, un fort intérêt. Les derniers pastels sont, comme je vous l’ai déjà dit, très peints ; vous avez très bien fait d’attendre ces dernières choses pour l’exposition. Il y aura en tout une quarantaine de choses environ que j’aurai terminées pour la fin Novembre, à quelle date je me rendrai aussitôt à Paris et vous les expédierai, comme vous le désirez, dans les premiers jours de Décembre.
J’ai beaucoup réfléchi à la question des titres, je dois vous avouer que je n’en trouve point pour ceux dont je pars d’un hasard quelconque pour aboutir à un fait réel. Autrefois j’avais mis des titres, mais cela avait l’air d’une rigolade. Je vous autorise cependant à ce que vous mettiez les titres des choses réelles que mes œuvres pourraient vous suggérer, pourvu que ce ne soit pas de titres que puissent marquer une tendance quelconque, de laquelle je tiens absolument à rester à l’écart, par exemple : « composition » (à tendance groupe abstraction - création) ou titres littéraires (à tendance surréaliste. Pour les derniers pastels que je suis en train de réaliser, je mettrai des titres – car je pars d’une réalité – mais des titres sans aucune prétention et très banals : figure, personnage, figures, personnages.
Il faudrait que vous vous procuriez des photos, ou du moins que vous notiez où vous placez les choses les plus représentatives, car à un moment donné, lorsque l’on voudrait faire quelque chose de sérieux sur moi, ceci pourrait nous manquer.
Il serait aussi nécessaire, surtout au moment de mon exposition, que Zervos vous fasse parvenir plusieurs exemplaires de « Cahiers d’art » pour que le public de New York puisse mieux connaître l’évolution de mon œuvre.
Si vous croyez que les pastels que je vous ai rapportés en Juillet courent le risque de s’abîmer, soyez assez aimable de les fixer.
Cette campagne est merveilleuse à cette époque-ci, ma femme et moi serons ravis si Madame Matisse et vous venez nous voir l’année prochaine, lorsque vous serez en Europe.
Je devais partir à Zurich pour l’exposition qui devait s’ouvrir le 11 au Kunsthaus, mais j’ai dû désister de la faire à cause des événements qui ont eu lieu en Espagne, c’était dangereux de partir en pareilles circonstances (21).
Veuillez présenter mes hommages à votre femme et recevez une cordiale poignée de mains de votre
Miró.

Pasaje crédito 4
(Espagne) Barcelone, le 11 Novbre 1934

Mon cher ami ; J’espère que vous allez bien et que vous êtes bien disposé à mener une campagne courageuse et efficace à New York, je vous souhaite de tout cœur une bonne chance et une belle réussite.
Je suppose que vous aurez reçu ma dernière lettre dans laquelle je vous parlais de ce que j’avais fait ce dernier temps – été automne. Je suis en train de terminer les derniers pastels, dernière étape de cette saison. Ils seront prêts dans quelques jours à quelle date je me rendrai à Paris. Je compte y aller vers la fin Novembre et pourrai vous les expédier à New York tout au début de Décembre. Vous écrirai un mot une fois ceci fait en vous indiquant exactement ce que j’aurai fait en cette dernière étape.
Ces derniers pastels sont très peints comme je vous l’avais déjà dit. J’ai l’impression de vous envoyer des choses très importantes et assez sensationnelles. Vous écrirai ce qu’on en dit à Paris. Vous aurez assez de matériel pour faire une exposition qui fasse du bruit et de choses qui, en même temps, seront négociables.
Pour les pastels il faudrait trouver un bel encadrement ; les autres choses il faudrait les encadrer d’une façon très simple.
Il serait nécessaire que vous preniez grand soin à ce que les peintures sur le papier émeril que vous avez remportées en été et celles que je vous expédierai en Décembre soient toujours mises à plat pour éviter que le papier émeril se gondole, ce qui fait qu’il se brise facilement.
Vous me rendriez service d’être assez aimable de verser à compte n° 9.655 du Banco de Bilbao – avenue de l’opéra – Paris – les mensualités d’Octobre - Novembre. (Frs.4.000).
Veuillez me rappeler au plus respectueux souvenir de Madame Matisse et croyez, mon cher ami, à ma plus sincère amitié,

Miró

Esperluette

Compagnonnage, dialogue, influence réciproque, affinité ou sympathie : il n’est pas rare qu’un écrivain et un artiste empruntent des voies convergentes, qui s’interceptent pour mieux se poursuivre. En rapprochant deux œuvres et deux individus au travers d’entretiens, d’essais ou de correspondances, chaque titre de la collection « & » révèle les liens féconds qui attachent des modes d’expression artistique tantôt parents et tantôt dissemblables.

Mentoring, dialogue, reciprocal influence, affinity or sympathy : it is not unusual for a writer and an artist to follow convergent paths, crossing each other to better go on. By bringing together two works and two people through interviews, essays or correspondences, each title of the collection “&” reveals fertile links that bound together modes of artistic expression, sometimes related, sometimes dissimilar.