Le Soleil et l’Envol — Simone Boisecq & Karl-Jean Longuet

Ce texte traite de l’initiation à l’art, de la création, de la transmission et de la mémoire à travers l’évocation du couple de sculpteurs, Karl-Jean Longuet (1904-1981) et Simone Boisecq (1922-2012). Se jouant élégamment des codes de la monographie, le livre d’Anne Longuet Marx, fille des artistes, est un hommage tendre à une saga familiale à laquelle, en digne héritière, elle confère la profondeur du temps et celle du sentiment. L’ouvrage se lira aussi bien comme un récit que comme une introduction à l’œuvre des deux artistes.

Date de publication : 18 février 2022
Format : 21 x 25 cm
Poids : 900 gr.
Nombre de pages : 208
ISBN : 978-2-85035-055-9
Prix : 30 €

Suivre leurs parcours, évoquer leur rencontre dans l’immédiat après-guerre, et ce qui se construit dans leurs ateliers, c’est documenter et entrer dans ce grand bouleversement qu’a connu l’histoire de l’art du XXe siècle et notamment de la sculpture avec cette confrontation à l’abstraction, au signe et à la figure, pure présence sensible renouant avec les premiers temps de l’expression humaine. La redécouverte de ces deux artistes dans la traversée du siècle participe de cet enrichissement de notre regard sur la sculpture moderne.
Cette rencontre des deux artistes à Paris en 1946, est comme toutes les vraies rencontres, décisive parce qu’elle les confirme dans ce qu’ils portent l’un et l’autre de transformation naissante dans leur destin et leur trajet de création. Ils font partie de ce que l’écrivain d’art Michel Tapié qualifie à leur sujet de « sculpture d’un temps autre », qui ouvre de nouveaux horizons pour cette seconde moitié du siècle dont on attend tout, après les désastres de la guerre. Ils exposent donc dans les lieux et avec les artistes qui œuvrent à cette transformation sensible : dans les salons des Réalités nouvelles et de Mai avec notamment Adam, Hajdu, Ubac, Stahly, Etienne Martin, Gilioli, Germaine Richier, mais aussi dans les galeries de René Drouin, la Galerie Mai et la Galerie Jeanne Bucher.
Les formes de KJL viennent d’une longue réflexion sur le corps et l’arbre et son passage à l’abstraction passe par une déconstruction, un dépouillement réfléchi comme on l’observe dans les arbres de Mondrian ou les villes de Klee, mais comme Klee, sans jamais renoncer au signe, à la figure ; il élabore ce que René Blanchot, frère de l’écrivain et architecte, appellera pour qualifier son œuvre, une « sculptarchitecture », héritière à la fois de la leçon de Rodin (la sculpture comme architecture vivante et animée) et de celle de Brancusi (dans une simplification du volume, à l’écoute de la matière).
SB, quant à elle, découvre très jeune la sculpture moderne avec Moore et Hepworth à Londres en 1945 et s’engage dans cette lutte avec la matière pour, dit-elle, « se battre contre quelque chose d’aussi dur que moi, matériau contre matériau », dans une invention « sauvage » qui dialogue avec les arts premiers et la modernité, nouveauté du langage que Germaine Richier et la critique saluent dès sa première exposition en 1952.
La matière transformée en vie, devenue pure présence, tel est à travers ces deux parcours singuliers, ce qui peuple ces ateliers où grandit l’auteur et qui éduque son regard.
Ce texte est donc un hommage aux sculpteurs mais aussi à la vie des formes, ces formes aussi vivantes que les êtres et dont la force matérielle transforme nos vies.
Il est donc question de deux générations différentes, lui qui naît quasiment avec le siècle, elle dont l’œuvre commence dans sa seconde moitié, mais dont la rencontre va sceller pour tous deux le début d’une aventure formelle et de sens, partagée mais toujours singulière et dont l’enfant qui découvre la complexité du monde par ces prismes va, devenu adulte, conduire par ce texte la curiosité de l’amateur en lui ouvrant les portes des ateliers.

Les auteurs

Maître de conférences à l’Université de Paris 13, spécialiste des formes littéraires et artistiques de la période moderne et contemporaine, Anne Longuet-Marx est également metteuse en scène, essayiste et traductrice (Walter Benjamin, Paul Celan, Heinrich von Kleist, Robert Walser…).

Presse

Georges Banu, Artpress
Brigitte Chapelain, Hermès
Claude Darras, Encres vagabondes
Jean-Paul Gavard-Perret, lelitteraire.com
Jean Grassou, L’Ours
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage
David Liot, Sculptures

Rencontre à la Librairie Compagnie, enregistrement vidéo d’une discussion avec Thierry Dufrêne.

Banu Longuet Marx Artpress
Chapelain Longuet Marx Hermès
Darras Longuet Marx Encres vagabondes
Liot Longuet Marx Sculptures

Extraits

Enfant, je croyais que France Culture que mes parents écoutaient en travaillant était France Sculpture, parce que je n’imaginais pas que la culture se donne autrement qu’en trois dimensions, hauteur, largeur, profondeur, et se déploie ailleurs que dans un atelier : j’étais donc persuadée que cette radio émettait pour eux seuls et que la sculpture régnait sur les ondes comme sur tout l’univers.
Pourtant France Sculpture ne donnait rien à voir (ces sculptures annoncées de France), mais offrait des formes sonores étonnantes, véritable laboratoire des voix du monde, qui se mêlaient pour moi à ces autres formes que je voyais se développer dans les ateliers et qui sans doute m’ont donné, très tôt, le goût du théâtre. C’était donc un monde de volumes en voix, un volume qui respire et s’organise en rythmes, tout comme, j’allais bientôt le comprendre, la sculpture elle-même.

Je passais ainsi de ce que j’entendais à ce que je voyais et m’appropriais ce monde de formes multiples. France Sculpture était à partir de là le nom d’un univers où je m’inventais des histoires qui avaient pour héros non seulement ceux des contes, Alice et le chat de Cheshire, mais toutes les figures qui vivaient déjà dans les ateliers : L’Homme cactus, La Femme cactée, Le Faune, La Forêt, L’Arbre, des Dualités parfois inquiétantes, si c’était dans celui de ma mère ; Orphée, Le Phare, Jeune homme endormi, La Nuit, La Musique, d’autres Forêts non plus modelées mais taillées dans le marbre, l’onyx ou le bois et des Couples plus pacifiques, plus tendres, si c’était dans celui de mon père. Ces présences peuplaient mon théâtre enfantin, le façonnaient sans que je m’en aperçoive et les personnages de Grimm, Perrault ou Andersen déambulaient dans ces décors modernes, faisaient des rencontres qui suscitaient de nouvelles aventures dont je tirais les fils.

J’avais commencé à déclamer sur un tabouret pour que ceux qui m’entouraient m’écoutent et j’émettais parfois au milieu des ateliers, une jactance rimée qui amusait ma mère laquelle en nota les premiers traits :
« Dans la mousse qui éclabousse,
j’ai rencontré un lapin aux yeux rouges,
puis il est parti et je ne l’ai replusvu. »
J’avais trois ans, un sens certain du rythme et de l’assonance mais surtout un public acquis à la cause de mon génie supposé et le goût comme beaucoup d’enfants d’occuper la scène en introduisant de nouveaux personnages. L’atelier était pour moi espace de jeu, d’invention et de liberté imaginative, une incitation à entrer en dialogue à ma façon. Le tabouret était mon socle et je me donnais cette supériorité sur les sculptures d’être sonore : une sculpture qui parle en somme.

On m’avait appris que le « p » de sculpture ne se prononçait pas : je considérais cette lettre, centrale, solide et discrète que les autres lettres entouraient en l’assourdissant, comme une sorte d’armature indispensable à la tenue du mot, tout comme l’armature, pour le sculpteur, fait tenir la glaise autour de son métal. Le mot avait donc lui aussi son secret, ce qui me semblait bien normal, puisque tout se fabriquait à partir d’un centre invisible qui donnait l’équilibre et faisait tenir debout.

Puis, vint le temps plus solitaire de la lecture.
Il faut bien avouer qu’il y a dans la découverte des premiers grands textes que nous nous désignons comme tels, la reconnaissance de nos premiers véritables maîtres, ceux que nous choisissons comme les éclaireurs de notre formation intellectuelle et sensible. En vérité, il s’agit toujours d’une rencontre qui vient conforter une intuition, l’illuminer pensons-nous de l’intérieur car nous sommes persuadés que ce que nous déchiffrons là, sur le papier, dans cet opus décisif que nous avons trouvé, nous le pressentions déjà, confusément certes, mais avec la même intensité que nous mettons à l’investir au grand jour, par la lecture.

(…)

Chacun roule ses pierres et construit peu à peu son édifice, l’écrivain avec ses mots, le sculpteur avec de la matière et en trois dimensions. Et les œuvres sont des mondes qui transforment notre manière d’être au monde. Elles sont aussi pour moi d’autres formes d’ateliers. Peut-être ne cherche-t-on sa vie durant qu’à retrouver cela, qui un jour nous a tant surpris, cette quintessence du vivant.
Ainsi donc, lire, écrire, observer, et n’en jamais finir.

Il faut arriver au mitan d’une vie - qui peut savoir où il se trouve mais déjà si loin du matin - pour comprendre que nous naissons à nous-mêmes bien avant d’en avoir conscience, et que tout ce qui nous saisit dans nos rencontres des êtres et des formes, nous confirme le plus souvent dans nos intuitions premières.
Tout est affaire de déplacement, une dimension de l’imaginaire en action qui bouleverse et modifie notre rapport au réel, que ce soit par l’art ou par l’amour. Il s’agit toujours d’une forme vivante qui nous bouscule, qui nous retient, sur laquelle nous nous retournons, qui nous révèle, nous faisant balbutier, troublés que nous sommes par cette singularité nouvelle qui devient le nouveau prisme à travers lequel nous considérons notre vie.

Car les formes sont vivantes comme les êtres et nous touchent par cela même qui les habite, ce mouvement unique qui les caractérise. L’enfant le sait. L’artiste le lui montre.
Ainsi en va-t-il aussi de la sculpture.

Squiggle

Chaque volume monographique de cette collection suit un artiste dans son « tracé libre », selon la formule par laquelle J.-B. Pontalis traduit l’intraduisible mot anglais squiggle. Jeu de dessin à deux que pratiquait le psychanalyste D. W. Winnicott avec ses patients enfants, le squiggle instaurait une atmosphère de communication spontanée. Entendu dans une acception élargie, il nommera ici l’espace ménagé dans chaque œuvre au dialogue, à l’imprévu, à l’inconnu.