Histoire de Madame de Rosemonde

C’est un livre dont il est plus facile et plus tentant de dire ce qu’il n’est pas que ce qu’il est : d’abord parce qu’il est singulier, étrange et peut-être unique en son genre ; ensuite pour éviter à son lecteur d’être déçu pour de mauvaises raisons. Loin de lui tout « projet », tout « message », toute arrière-pensée. Il est tout entier à ce qu’il raconte, n’a pas le temps et l’espace de nous adresser des clins d’œil, et pour cause : ce qu’il relate est la vie même, dans ce qu’elle a de beau, d’embêtant et de déchirant. C’est un roman qui n’a pas d’autre beauté que de conter un destin qui nous touche ; mais cette beauté-là, il l’a toute. On ne peut mieux plaider en sa faveur qu’en demandant de lui faire confiance. Il le mérite, et on ne le regrettera pas.

Date de publication : 15 mars 2024
Format : 14 x 22 cm
Poids : 320 gr.
Nombre de pages : 176
ISBN : 978-2-85035-139-6
Prix : 25 €

Il ne faut pas chercher derrière le titre du roman de Marie-Anne Toulouse autre chose que ce qu’il annonce : la référence aux Liaisons dangereuses ne relève pas d’un hommage lointain ou d’un jeu érudit, et elle n’annonce pas non plus une relecture ou une déconstruction. Les Liaisons sont finies et ne seront pas rejouées. La marquise de Merteuil est défigurée, le vicomte de Valmont a péri. Madame de Rosemonde, dont nous nous souvenons – vaguement peut-être, là n’est pas l’essentiel – comme de la vénérable tante du vicomte, se raconte à la défunte présidente de Tourvel dans une lettre infinie que nul ne lira jamais. Ce n’est donc non plus pas la renaissance du roman épistolaire. C’est une « histoire », bel et bien : le récit d’une vie de femme, des premiers souvenirs d’enfance jusqu’aux limbes de la vieillesse ; le récit d’une jeunesse, d’une éducation, d’un passage au couvent, d’une entrée dans le monde, d’un mariage arrangé mais heureux ; enfin, et surtout, le récit d’une passion qui s’achèvera par la mort de l’amant et par la mort du monde.

Dans ce personnage de Laclos, dans la forme de la lettre, dans les archétypes littéraires et dans la langue du XVIIIe siècle, Marie-Anne Toulouse a trouvé la forme apte à restituer l’épaisseur d’une vie et, ce qui est plus, un sentiment du monde. On ne pourrait se tromper davantage qu’en voyant dans son livre un exercice de style, un pastiche littéraire, une réécriture qui chercherait à honorer ou subvertir des codes anciens. L’auteure n’affuble pas son texte d’une rhétorique maniériste ; elle parle cette langue teintée de celle de Laclos, Marivaux, Crébillon et Casanova comme une seconde langue maternelle – français écrit comme d’un pays étrange et familier qui le rend plus riche, plus subtil, plus profond et plus juste. Le XVIIIe siècle ici n’est pas un fard, un costume, en un mot un anachronisme ; il est un prisme, un véhicule. Madame de Rosemonde n’est pas un pantin littéraire, mais une femme de chair et d’os.

Les auteurs

Marie-Anne Arnaud Toulouse, née en 1950, agrégée et Docteur en Lettres, vit en Bourgogne. Elle est l’auteure d’une thèse consacrée à Julien Gracq et Jean Giono. Elle a contribué au Dictionnaire Giono (Classiques Garnier, 2016), à l’édition des Romans et récits de Romain Gary (Pléiade, 2019) et à L’Abécédaire de Romain Gary (Observatoire, 2022). Histoire de Madame de Rosemonde est son premier roman.

Presse

Anne Coudreuse, nonfiction.fr

Extraits

Pourquoi, ma chère Belle, avoir attendu que vous ne fussiez plus pour vous raconter enfin l’histoire de ma vie ? Vous me l’avez si souvent demandée, dans le temps que vous me faisiez le don quotidien de votre gracieuse présence et de votre claire beauté, et je vous l’ai si constamment refusée que cela reste, parmi tous mes irréparables regrets, le seul qui puisse trouver un semblant de remède. Laissez-moi croire, mon enfant tant regrettée, que vous avez enfin trouvé le repos pour lequel vous étiez faite, et que, lavé par ce sang qu’il vous devait, et pardonné de vous au nom de cet amour qui vous a perdus tous les deux, mon neveu est à votre côté, enfin libre de ses vanités d’homme, et libre de vous aimer à loisir, éperdument, dans l’abandon qu’il se refusait en ce monde.
Nul ne sait au juste, et moi moins que personne, ce qu’il advient de nous quand la mort a frappé, et je vous avoue que je ne puis me dire, sur ce point comme sur quelques autres, une chrétienne irréprochable. Je n’aurais pas risqué de vous faire cette confidence du temps de notre amitié, mais elle est utile à ce récit que vous me réclamiez, puisqu’elle touche à mon éducation, et à mon mariage avec Monsieur de Rosemonde. Car c’est de là que j’ai appris à me servir de ma raison pour tâcher de venir à bout des écarts du cœur et des fantaisies de l’imagination. La suite de mon histoire vous dira que je n’y ai pas toujours réussi aussi exactement que l’eût voulu mon guide. Pour ce qui est de la mort, et de la vie éternelle, je n’ai jamais pu me résoudre à adopter les vues de la religion, ni concevoir de bonne foi comment la vie de mon âme pourrait se poursuivre privée de ce qui nourrit son sentiment. Mais comme aussi j’ai vu, au cours de ma longue existence, disparaître tour à tour les personnes à qui je tenais de toutes les façons, il a été impossible à mon cœur de les abandonner à une absence sans recours. Je me suis donc fabriqué, pour mon usage singulier, une pensée toute de contradictions et de nuances, où la mort générale se définit comme le désastre d’une matière désorganisée, et la particulière comme la persistance pâlie d’un souvenir sans pareil. Ce n’est pas que je ne sente toute l’infirmité de mon système, sans parler même de son hérésie, mais il est un de ceux qui m’ont permis de composer avec le malheur, et il autorise aujourd’hui que je cause encore avec vous comme avec un de ces personnages que les Anciens logeaient dans les Champs-Élysées. Il faut bien, au surplus, que je trouve le moyen de vivre sans les objets de mon affection, puisque décidément l’ordonnance des choses, qu’il m’arrive de nommer la Providence, a voulu que l’énergie aveugle de la vie l’emportât toujours chez moi sur le cruel chagrin de leur perte. Et aujourd’hui même qu’a disparu avec mon neveu le dernier représentant de notre sang, que notre famille va s’éteindre avec moi, et qu’il vient de la cour et du royaume les bruits les plus alarmants, ma patience tient moins à la pieuse résignation que chacun me prête qu’à certain tour d’esprit mélancolique et songe-creux où je puise la ressource de me faire des romans.
C’est ainsi que depuis deux années que la mort s’opiniâtre à ne me pas emporter malgré mon désir et mes maux, il n’est pas de jour que je ne songe à vous et à mon neveu, à cette cruelle aventure qui vous a jetés l’un et l’autre dans l’abîme, et à ce qui avait fait de lui cet homme impudent et dangereux qui ne respectait plus rien, qui ne fut pas capable de reconnaître l’ange envoyé à lui pour son salut, ou qui, l’ayant reconnu, trouva la force désespérée de le détruire. Il fut trop aisé, dans le moment de ce malheur, d’accuser Madame de Merteuil d’avoir été le mauvais génie de tous. J’ai moi aussi, dans l’excès de ma douleur, maudit celle qui me privait des enfants de mon cœur, et par qui arrivait un si effroyable scandale. Elle était animée d’une singulière volonté de maîtriser et de nuire, que ne balançaient nulle faiblesse et nulle tendresse pour autrui, au point qu’une fois soulevé le masque de la vertu, on ne vit plus que le visage d’un démon égaré parmi les hommes pour causer leur perte. Mais après avoir longuement médité sur cette aventure, il ne me semble plus si assuré qu’elle en fut la seule instigatrice et la coupable unique. Même, il est arrivé que je sentisse pour elle un peu de pitié de n’avoir pas rencontré un être qui eût assez de cœur et d’esprit pour répondre à ses attentes et mettre un terme à son errance. Elle avait une intelligence peu commune de l’asservissement des femmes dans le monde, et, dans son désir d’y échapper, il entrait un amour-propre aussi légitime que naturel, que la rencontre d’un cœur capable de générosité eût sans doute préservé de tourner à la férocité. C’est du moins la leçon que je tire de ma propre histoire, mais comptez que c’est par le travers trop partagé qui est de considérer le visage d’autrui dans son propre miroir. Le jugement vaut ce que vaut l’aune.
Reste qu’un caractère gagné au mal et au mépris du genre humain, s’il est un mystère impénétrable, n’est pas hélas un monstre bien rare dans notre siècle, où je crois que la Régence en a introduit la mode il y a longtemps. Et je crains que l’esprit de mon neveu n’ait été infecté comme bien d’autres d’une rage de vaincre qui eût été mieux employée dans le service des armes, et qui est comme un fruit dégénéré poussé sur l’arbre suranné de la noblesse. Car au goût du plaisir et de la conquête dont j’ai constaté la force incoercible chez le plus grand nombre des hommes, il joignait celui de corrompre et d’humilier, qui en est le sombre versant, et n’a jamais produit que la vaine satisfaction d’être un instant le plus fort. Il faut qu’il y ait à cette illusion des charmes bien puissants pour qu’avec une lâcheté et une cruauté pour moi obscures il lui ait sacrifié ce qu’il aimait le plus au monde. Car c’est ainsi qu’il vous aimait. Tout me l’a enseigné, ses regards et vos confidences, les mots des lettres à l’autre femme, et l’intelligence de jalousie qu’elle en a eue. Et je ne parlerai pas, de peur de verser encore trop de larmes, et puisque de toute façon il est trop tard, de la dernière lettre que vous n’avez pas ouverte et qui implorait avec tant d’humilité désespérée votre pardon.
Je ne pourrai trouver que dans le dernier sommeil une consolation à ma douleur et un apaisement à la contradiction de ma pensée. Car si je juge sévèrement le procédé de mon neveu, nul n’a su combien, par une farouche injustice, et sans une vraie pensée pour les autres infortunés de cette histoire, je réservais mes larmes pour vous et pour l’enfant que j’avais aimé, et qui s’était perdu en vous perdant.
J’espère qu’une fois au moins vous avez prononcé le nom qui était le sien depuis le jour de son baptême et dont il m’arrivait d’user quand il n’était encore qu’un tout petit garçon, et qu’il aimait à courir avec son chien dans les allées du parc. Je me souviens de matinées d’hiver où tout brillait en lui d’insolence et de rire quand sa mère ou moi nous essayions vainement de le persuader de rentrer, ou de ce jour de printemps froid où il était tombé dans le ruisseau en voulant suivre le chien sur les traces d’un colvert. Quand nous l’avons retrouvé, il était à demi-mort de froid et tout entier morfondu d’orgueil blessé. Après deux pleines années de deuil, je n’ai pas renoncé à évoquer de lui ces éclairs-là, ou la lourdeur de sa tête endormie sur mes genoux. Car la source intarissable de ma tendresse pour lui était dans cette enfance. Sans doute auriez-vous aimé ces fragments, ces dessins de mon album, si vous aviez pu avec l’insouciance et la joie de votre jeunesse vous en emparer et fuir dans votre appartement pour caresser à loisir ce petit garçon que vous aimiez sous son apparence d’homme. Mais il y avait alors trop de tourment et de souffrance dans la passion qui naissait en vous pour qu’elle vous permît ces enfantillages aussi vieux que l’amour. Vous ne saviez pas alors toutes les raisons que j’avais d’éprouver à votre égard une tendre indulgence. Toutes n’étaient pas, ma chère fille, dans l’amitié que j’avais pour vous et que vous méritiez si bien, mais quelques-unes se trouvaient dans le plus secret de ma vie.

Littératures

Indifférente aux démarcations de genres, la collection « Littérature » entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers, journaux, carnets, correspondances… : sans autres guides que la surprise et l’émotion, elle s’ouvre à des formes inédites, entêtantes, qu’elle enrichit en les accompagnant d’œuvres originales.

Indifferent to the dividing lines between genres, the collection « Literature » aims to represent a curious approach of the contemporary literary creation. Poesy, singular stories, diaries, notebooks, correspondence… : with no other guides than surprise and emotion, it opens up to new and enhanced forms, paired with original works of art.

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