À la rencontre — Carnets et essais sur des peintres, 2003-2020

Les notes de carnets ? Ce sont des impressions, plus ou moins fugaces, reçues au fil des jours, entre autre devant les œuvres de quelques peintres. Recueillies sous la forme d’une suite ordonnée mais non datée, elles composent, dans un registre plus modeste, plus instantané que les poèmes, des traces d’une vie passagère, traces qui ont l’avantage de concrétiser, voire de clarifier celle-ci.

Date de publication : 13 janvier 2023
Format : 16 x 20 cm
Poids : 400 gr.
Nombre de pages : 184
ISBN : 978-2-85035-091-7
Prix : 25 €

Un exemple clé de cette pratique de la notation : en acquérant, il y a une vingtaine d’années, une petite maison avec jardin dans la campagne du haut Quercy, peu à peu j’ai renouvelé, positivement comme on le verra dans cet ouvrage, les premiers contacts, remontant à l’enfance, qu’en Limousin j’avais eus avec les réalités naturelles.
Je ne cherche, en écrivant, qu’à être présent au passage qu’est toute vie. Dans mon désir de donner sens au passage, la peinture à laquelle je suis attentif tient beaucoup de place. Me sont d’une grande aide certains peintres, hommes et femmes, que j’affectionne de longue date tout particulièrement. Pourquoi ? Parce que leurs œuvres respectifs, quoique sur un mode parfois très différent, traduisent un lien intense avec le temps fini de notre passage. Quel renfort ils m’apportent ! On trouvera ici, successivement, des essais à propos de Lucy Vines, Farhad Ostovani, Anne-Marie Jaccottet, Mantegna, Yves Lévêque et Gérard de Palézieux.

Les auteurs

Alain Lévêque, est né à Paris en 1942. Il partage son temps entre Paris et le Quercy. Après des études de lettres modernes à la Sorbonne et divers emplois dans l’édition (Encyclopédie Grolier), il a travaillé à l’Unesco une vingtaine d’années, au courrier de l’Unesco en tant que rédacteur principal de l’édition en langue française, puis à la division des droits de l’homme et de la lutte contre la discrimination et le racisme. Il a collaboré à plusieurs revues, notamment : Port-des-Singes, Sud, Solaire, Recueil, Légendes, Écriture, Théodore Balmoral, la NRF, la Revue de Belles-Lettres, Arpa, Missives. Il a également publié des études et des préfaces relatives à des écrivains (Y. Bonnefoy, A. Frénaud, J. Follain, P.-A. Jourdan, G. Roud, M. Arland, G. Borgeaud, A. Perrier, F. Debluë...) et à des peintres (P. Bonnard, W., Homer, G. de Palézieux, A. Hollan, Y. Lévêque...).
Il a publié : La Maison traversée (Deyrolle éditeur, 1992), Le Ruisseau noir (Deyrolle éditeur, 1993), Grains de terre (La bibliothèque des arts, 1999), D’un pays de parole (Verdier, 2005), Manquant tomber (L’Escampette, 2011), Pour ne pas oublier (La Bibliothèque, 2014), L’espoir musicien (La Coopérative, 2021).
Les éditions L’Atelier contemporain, dans leur collection « Studiolo » publieront en 2023 l’ensemble de ses écrits sur Pierre Bonnard.

Presse

Michel Arcens, Un blog
Richard Blin, Le Matricule des anges
Patrick Corneau, Le Lorgnon mélancolique

Blin Lévêque Matricule des anges

Extraits

« Je n’écris pas sur l’art, mais sur des œuvres qui me touchent. Sans être historien, ni critique, ni érudit. Je vais à des peintres qui, sans mot dire, me parlent. C’est un élan. Il ne diffère pas de celui qui me porte vers des écrivains et des musiciens. Par des langages divergents, peintres, sculpteurs, musiciens et écrivains expriment, me semble-t-il, des préoccupations communes. Je ne crois pas au cloisonnement entre les arts.
La peinture déborde les mots. Le danger qui guette l’écrivain, c’est d’annexer l’œuvre picturale à ses mots, de l’étouffer malgré lui dans l’étreinte verbale, bref de substituer son langage à celui, tout autre, du peintre. Il y a là un piège que favorise l’écart entre les pratiques artistiques. La musique, en raison de la technicité intimidante de son langage, y échappe bien plus que la représentation par des formes colorées, plus accessible de prime abord.
Aussi l’écrivain qu’attire l’œuvre d’un peintre, d’hier ou d’aujourd’hui, doit-il, ne serait-ce que par respect pour cette autre forme d’approche de la réalité, s’efforcer de comprendre au mieux le propos de celui-ci, en s’aidant de tous les moyens disponibles qui permettent d’éclairer ce qu’on peut appeler, d’un mot, le contexte. C’est même là, à mes yeux, après la sympathie, un principe clef. Il est d’autant plus nécessaire que le sentiment de proximité qu’il éprouve pour l’œuvre d’un peintre ne fait qu’accroître chez l’écrivain les risques de se méprendre, en définitive, sur son sens.
S’il a scrupule à s’engager dans cette voie périlleuse, la jugeant par trop trompeuse, si ce n’est illusoire, l’écrivain peut choisir d’évoquer cette œuvre par le moyen d’un jeu d’associations subjectives, dès lors que celles-ci sont aussi fidèles que possible à ce que cette œuvre lui inspire. Des rapprochements personnels qu’il osera alors, librement, honnêtement, il peut résulter un poème bref (je pense à ceux de Paul de Roux, d’une grâce si exacte, qui jalonnent presque tous ses recueils et complètent d’autres formes d’approche, notamment ses Visites à Simon Vouet) ou une prose plus longue, d’ordre poétique, qui sera riche d’enseignement encore plus sur le regardant que sur le regardé (Philippe Jaccottet en a donné un bel exemple avec Le Bol du pèlerin, en reconnaissance de ce que lui a apporté Morandi.)
Quand je parle de rencontres avec des peintres, je pense, tout simplement, au témoignage qu’ils ont laissé de leur présence au monde. C’est plus que des traces. C’est un acte de présence à ce qu’ils vivent, une manière d’habiter la finitude qui donne au regard qu’ils posent sur le monde un pouvoir qui tient de la poésie. Devant des œuvres de ces peintres poètes, nous habitons à notre tour davantage notre vie.
(...)
C’est cette double capacité : voir et approcher ce qui échappe aux mots (et que ceux-ci ne rejoignent vraiment que par la poésie) qui m’attire vers l’œuvre de certains peintres. Écrire relativement à une telle œuvre, c’est alors cheminer un temps ensemble, aller de compagnie avec une autre personne, sans chercher à infléchir sa route dans quelque direction que ce soit. Au fond, cette navigation de conserve, mais à distance, c’est un salut qu’un écrivain adresse à un peintre pour marquer qu’il se sent proche de son être-au-monde. Le peintre peut trouver là, tout au plus, un encouragement.
À condition que ce geste de reconnaissance de la part de l’écrivain ne se trompe pas quant au projet du peintre, qui est lié à un usage spécifique du dessin et de la couleur. C’est tout le problème de l’interprétation. Ainsi ai-je écrit trois essais (les deux premiers ont paru respectivement en 2007 et 2012 ) touchant l’œuvre de Lucy Vines. Je suis très sensible, depuis longtemps, à ses figures, en particulier à celles dessinées, aux craies et aux crayons de couleur, sur un papier à fond noir. Ce sont autant d’apparitions douées d’une présence intense et mystérieuse. Ses figures, qui ne comportent ni titres ni dates et presque aucun décor, échappent autant au cadre narratif ou psychologique qu’à tout repère chronologique ou topographique. Le caractère d’apparition de ces femmes au corps le plus souvent nu et de ces enfants n’en est que plus frappant et leur charme plus troublant, plus insistant. Ses paysages, qui sont également dépourvus de titres et de dates, sans jamais verser dans l’abstraction, participent aussi de cette présence aiguë à la finitude. À qui s’interroge, saisi d’émotion, sur le sens de ces œuvres, le peintre ne peut donner ni explication ni commentaire, tant elles sont le fruit d’une poussée venue des profondeurs.
Qu’ai-je fait ? J’ai essayé, chaque fois, de préciser la lecture que m’inspiraient certaines de ces œuvres qui me parlent de si près. Et j’ai tenté d’en préciser le sens, du moins celui qu’elles ont pour moi, en veillant à ne pas tomber dans les dérives de la surinterprétation. Mais je n’ai pas le sentiment d’y avoir réussi. Il me semble que je suis loin d’avoir pénétré leur intention véritable. D’où la crainte que j’éprouve d’avoir, non seulement réduit par l’analyse verbale ce sens profond, de m’être égaré, mais, pis encore, d’avoir trahi les vues du peintre en lui prêtant abusivement les miennes. D’où, également, mon insatisfaction, comme si, dans cette sorte de poursuite à la fois critique et poétique, je perdais la vérité de ce que je cherche à étreindre, je lâchais, comme on le dit si bien, la proie pour l’ombre. Je note, en passant, que je ressens cette insatisfaction et ces doutes même quand j’écris à propos de l’œuvre d’un poète. Incertitudes, tâtonnements, approximations propres à tout acte critique ?
(...)
Avec Palézieux, comme avec Bonnard, Ryôkan et d’autres peintres du passé ou du présent mais tous également vivants, non moins qu’avec les jeunes qui dessinent dans la rue ou près des arbres, je comprends mieux que c’est l’attention qui est l’acte décisif. Au-delà de l’observation, celle-ci est contemplation active, participation agissante à notre sort commun de vivants- mortels. Elle nous relie à ce qui nous entoure et nous fait, littéralement, voir, au dehors et en nous. L’évidence, cet invisible à force d’absence, d’aveuglement, ressuscite alors sous nos yeux. La réalité naturelle, rétablie dans ce lien, accède à tout elle-même, à rien qu’elle-même. Elle suffit. Elle redevient plénitude.
Par cette pratique de l’attention — apprentissage du regard posé sur le dehors autant qu’exploration intérieure — la peinture contribue à réveiller notre présence au monde. Notre lieu d’être renaît des scories et des cendres qui l’étouffent. L’absence à l’autre, à soi-même, à l’existence, recule. La lumière de l’ici et maintenant regagne du terrain, même si ce n’est qu’en parole, en image ou en musique. »

*

« Dans la maison seule la musique monte à la hauteur des nuages, des oiseaux, de la vie alentour. Les années, les siècles sont comme rejoints et franchis. Loin des chiffres, dedans et dehors fusionnent. Te voilà suspendu avec bonheur au seul fil du temps intérieur, araignée du matin, araignée du soir. »

Essais sur l’art

L’essai est une forme qui se détermine à chacun de ses usages, une forme différant sans cesse d’elle-même, autrement dit une forme ouverte. Ne jamais quitter le terrain de l’expérimentation pour celui de la certitude, c’est ce que voudraient permettre ces « essais sur l’art », qui dans leur pluralité ont en commun de chercher moins à dire une vérité figée sur les œuvres qu’à remettre en jeu et en mouvement leur secret.
« Un discours sur l’œuvre de peinture qui ne serait autre que le discours de l’œuvre de peinture est-il possible ? » (Louis Marin) — voilà qui pourrait être un des enjeux de cette collection.

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