Comme un commun

Anything goes, tout va, tout est permis. Dans Comme un commun, ensemble fragmentaire de méditations quotidiennes, Camille Saint-Jacques cite souvent cette phrase de Cole Porter, comme un encouragement pour chacun et chacune à prendre la plume ou le pinceau. La peinture n’est pas une activité professionnelle, celle du peintre, mais avant tout un geste, celui de peindre, que tout le monde peut pratiquer pour exprimer sa propre "pensée sauvage" en même temps que son appartenance à la communauté infinie de ce qui est.

Date de publication : 20 janvier 2023
Format : 16 x 20 cm
Poids : 530 gr.
Nombre de pages : 240
ISBN : 978-2-85035-092-4
Prix : 25 €

Les carnets de notes de Camille Saint-Jacques explorent les différentes dimensions, esthétique, éthique, politique, d’une manière de penser l’art en tant que commun. Emmanuel Pernoud résume ainsi leur visée : « Être peintre, ce n’est rien. C’est peindre qui compte – le verbe à la place du sujet. Peindre est à la portée de tout le monde, entre autres des peintres. Telle est la basse obstinée de ces textes et leur sourde indignation contre un monde de l’art qui ferait de la peinture un accès réservé. C’est le côté “Nuit du 4 août” de ces libres réflexions : “l’art vous appartient”. » En peignant, en écrivant, il s’agit de renouer avec la part de nuit qu’on porte en soi, qui est en même temps la chose la plus singulière, la plus étrange, et la plus commune. Il ne faut pas craindre la « pensée sauvage, instantanée et sans lien avec la linéarité dialectique, plus proche du rêve hagard où se télescopent les images dans un jaillissement fécond ».

Inscrivant pour chaque fragment son âge en chiffres romains ainsi que le jour de l’année en chiffres arabes, Camille Saint-Jacques précise et déploie au fil des jours cette idée d’une peinture ouverte, commune, qui ne serait plus le privilège de quelques-uns : « Penser que la peinture est une affaire personnelle que l’on peut signer de son nom propre est une erreur funeste. Elle s’est enracinée en nous depuis maintenant quelques siècles, depuis l’avènement d’un sujet bourgeois accapareur de tout, y compris de ces communs : nature, terre, eau, air... qu’il s’agirait de transformer en “biens”, c’est-à-dire en valeurs, en marchandises et propriétés offertes au commerce. Nous étouffons à cause de cette rapacité boutiquière, et nous crevons des injustices qu’elle engendre. C’est très simple, l’art n’est pas un bien. On œuvre comme on respire. Cela ne nous donne pas plus le droit de signer ce qui advient que nous ne pouvons nous approprier l’air de nos poumons sous prétexte que nous l’avons inspiré quelques secondes. L’art aussi est un commun. » L’art, comme l’air, comme l’eau, est seulement ce qui nous traverse, ce qui passe. Son appropriation est non seulement mensonge, mais violence faite à la communauté infinie des êtres et des choses.

Les auteurs

Né en 1956, Camille Saint-Jacques est peintre, enseignant, écrivain et critique d’art.
« Depuis sa première exposition à la fin des années 1980, Camille Saint-Jacques a utilisé toutes les techniques et, l’on pourrait dire, tous les styles. Des peintures sur toile du début, aux tableaux de perle ou à ceux de bois en bas-relief en passant par la sérigraphie ou des pièces sonores, la pratique de cet artiste est heureusement polymorphe, invoquant généreusement des artistes du passé comme Katsushika Hokusai, Grant Wood, William Hogarth ou José Guadalupe Posada avec un refus de l’expressionnisme et de ses contentements égotiques au profit de l’utilisation de thèmes pensés comme universalistes où le langage est souvent au centre et la narration souvent présente par l’intermédiaire de personnages fictionnels emblématiques et symboliques (Mister Nobody, Moonboy, l’Imagicien…). » (Éric Suchère)
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, les moyens plastiques se sont réduits et l’artiste a fini par se concentrer sur le dessin et la peinture sur papier dans une volonté de réduction liée à une économie de la pratique.
Camille Saint-Jacques est l’auteur d’une série d’essais (Retrouvez le plaisir de créer, l’art vous appartient !, Paris, Ateliers Henry Dougier, 2016 ; Le mouvement ouvrier. Une histoire des gestes créateurs des travailleurs, 2008 ; Une brève histoire de l’Art contemporain, 2007…) et de plusieurs journaux de création.
Après le Journal des Expositions (1992-2000) et Post (2000-2001), il dirige aujourd’hui, aux côtés d’Éric Suchère, la collection Beautés, consacrée à l’art contemporain.
Ses peintures sont présentées par la galerie Bernard Jordan.

Le site internet de l’artiste.

Presse

Noémie Cursoux, Critique d’art
Thierry de Fages, Blog de Phaco
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage.com

Cursoux Saint-Jacques Critique d’art

Extraits

En vérité, Camille Saint-Jacques exerce surtout sa verve aux dépens d’un autre personnage : le peintre lui-même. Être peintre, ce n’est rien. C’est peindre qui compte – le verbe à la place du sujet. Peindre est à la portée de tout le monde, entre autres des peintres. Telle est la basse obstinée de ces textes et leur sourde indignation contre un monde de l’art qui ferait de la peinture un accès réservé. C’est le côté « Nuit du 4 août » de ces libres réflexions : « l’art vous appartient », pour reprendre le sous-titre d’un livre précédent qui se présentait comme un manuel d’anti-professionnalisme artistique à l’usage de tout le monde.
Celui qui écrit ces lignes ne va-t-il pas quitter son clavier et se mettre à peindre ? Si les mots de Camille Saint-Jacques parviennent à me convaincre que, moi aussi, je pourrais m’essayer à l’acrylique et au dessin à la gomme, ce sont surtout par les images poétiques qui traversent ce livre. Comme celle des feuilles du noisetier virevoltant dans les airs et qui paraissent longuement hésiter avant de choisir l’endroit où elles tomberont. « Chacune s’abandonne différemment au dessin de sa chute, sans précipitation, avec une application et une justesse sans égale. » En lisant cette phrase, m’est revenue à l’esprit ce mot d’Henri Michaux placé en exergue de Passages : « La volonté, mort de l’art ».
(Emmanuel Pernoud)

*

Le peintre vole. Il a le ciel comme motif, œuvre dans le ciel comme le passager d’un avion, fasciné par l’immensité d’un monde sans perspective ni cadre ni point de fuite, un monde infini où sa vie elle-même ne compte pas, se trouve sans incidence. Par opposition, l’artiste est celui qui ferme le hublot pour se replier sur lui-même. Lui, est indigent, car il fabrique, travaille, produit, lui compte, ignorant que tout ce qui se mesure périt.
Face au « silence infini », il n’y a pas de mots qui tiennent pour dire la douleur, pas de langage, de grammatologie ou d’orthographe, pas de règle ni de métier. La douleur ne parle pas français ou espagnol, elle plane, immobile et sans fautes comme un nuage effervescent. Quiconque croit échapper à la douleur ou au silence infini en se barricadant dans la certitude d’un statut ou d’une profession se sclérose et s’aveugle. À l’inverse, le peintre de « la liberté absolue » - comme le dit Hegel à propos du révolutionnaire - est celui pour qui le « ciel est descendu sur terre », celui qui l’habite comme un commun de la manière la plus familière, heureuse et affectueuse.

*

Je peins sans m’en rendre compte. Ce midi, je me suis demandé ce que j’avais fait ce matin. En réfléchissant, je me suis aperçu que j’avais peint les petites boules à la surface de cette peinture. Enfin, « peindre » est beaucoup dire. Je les avais faites sans trop y penser, en écoutant la radio, en répondant au téléphone, en cuisinant, en faisant un peu de ménage... De toute évidence, j’avais la tête ailleurs au point qu’au moment de passer à table je ne me souvenais plus d’une de ces activités, la plus naturelle et la plus routinière aussi. Mais, c’est ainsi que la peinture doit être : fondue avec le reste de la vie, irréfléchie, diluée dans tout ce qui ne relève pas du travail ou de ce qu’on accomplit par obligation ou intérêt, dans cette part de liberté qu’il s’agit de défendre.

Écrits d’artistes

Passé le moment des avant-gardes, la discussion sur l’art est abandonnée aux professionnels du discours, et l’on oublierait presque que les artistes sont les premiers à penser leur pratique, que la peinture et la sculpture pensent. Réflexions, propos, notes, journaux, correspondances ou entretiens : la collection « Écrits d’artistes » entend actualiser ce fonds d’une grande richesse, bien souvent ignoré, pour donner à entendre la voix des praticiens de l’art.

Once the moment of the avant-garde is gone, discussions on art are left to the speech professionals. Then, one could nearly forget that artists are the first to consider their practice, that painting and sculpture think. Reflections, remarks, notes, diaries, correspondences or interviews : the collection “Writings by artists” aims to update this considerable fund, frequently ignored, to give a voice to the practitioners of art.

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