Fresque et Mosaïque

Recueillis sur une durée très longue, les instantanés qui composent ce livre restituent à intervalles variables, et sans respect de la chronologie, la vie de famille de l’auteur, de sa compagne Mina et de leurs filles Lamiel et Armance, dans un appartement d’un vieil immeuble parisien quasi abandonné. La venue au monde de l’aînée donne le point de départ, un déménagement forcé amène la fin. Entre ces deux pôles, Xavier Bazot aura eu le temps d’enregistrer les curiosités du devenir de ses filles, d’écorner quelques normes du fonctionnement familial, conjugal, amical et social, et d’épingler les paradoxes et les inconstances de certains « caractères », à commencer par le sien propre.

Date de publication : 20 août 2021
Format : 14 x 22 cm
Poids : 220 gr.
Nombre de pages : 128
ISBN : 978-2-85035-044-3
Prix : 15 €

Au détour d’un des instantanés qui composent ce livre, l’auteur, citant Heine qui dépeignait ainsi Fourier, parle de sa « pauvreté providentielle » d’écrivain, qui, paradoxalement, « enrichit » sa vie, en lui permettant de ne pas manquer les fugitives années d’enfance de ses deux filles. Pourrait-on trouver un exemple plus concentré et plus éloquent de l’esprit de l’ouvrage de Xavier Bazot ? Oui : à chaque page, voire à chaque phrase, tant son écriture ramassée, circulaire et comme lovée sur elle-même, réalise l’union de la partie et du tout, du transitoire et du durable.
Visiblement réalisés sur une durée très longue, une vingtaine d’années, et autobiographiques, ces coups de sonde aléatoires auxquels la prose confère leur nécessité, restituent à des intervalles variables et sans respect de la chronologie la vie de famille de l’auteur, de sa compagne « Mina », d’« Armance » et de « Lamiel », dans un appartement d’un vieil immeuble parisien quasi abandonné. La venue au monde de l’aînée donne le point de départ, un déménagement forcé amène la fin. Entre ces deux pôles, Xavier Bazot aura eu le temps d’enregistrer les curiosités du devenir de ses filles, d’écorner quelques normes du fonctionnement familial, conjugal, amical et social, et d’épingler les paradoxes et les inconstances de certains « caractères », à commencer par le sien.
Difficile de voir à quel point un voile de fiction brouille la réalité – qu’importe ? Invention ou vécu, cette prose tendue, segmentée, minutieuse et parfois précieuse recrée son objet, évoquant une main délicate qui inspecte un tiroir recoin après recoin jusqu’à l’avoir vidé soigneusement, exhaustivement de son contenu. Scènes de la vie conjugale, tableaux parisiens, apophtegmes, anecdotes, historiettes, récits de rêves, dits d’enfants, autoportraits en écrivain : une seule et même voix, tendre quoiqu’en sourdine, distante mais jamais détachée, hautement individuelle donc intempestive, voire subversive, dépouillée de tout lieu commun, informe cette réjouissante variété d’observations.
« Je suis capable de véritables élans du cœur, envers des personnes que je ne connais pas, avec lesquelles je vis dans une authentique fraternité, dont je me sens l’exact contemporain, tels Osamu Dazai, Jean Rhys, Robert Walser… » Avec ce livre, Xavier Bazot s’incarne lui aussi dans son écriture, et lui donne un sensible surcroît de présence.

Les auteurs

Né en 1955, Xavier Bazot est l’auteur d’une œuvre rare, égrenée en sept livres, depuis 1990. Il a publié tour à tour chez P.O.L. (Tableau de la Passion, 1990), Le Serpent à Plumes (Chronique du cirque dans le désert, 1995 ; Un fraisier pour dimanche, 1996 ; Stabat Mater, 1999 ; Au bord, 2002) et Champ Vallon (Camps volants, 2008).

Presse

Pierre Ahnne, Le blog de Pierre Ahnne
Brigitte Aubonnet, Encres vagabondes
Jean-Paul Gavard-Perret, Le Salon littéraire ; le littéraire.com
Fabien Ribery, L’Intervalle

Corine Chapelain-Rotter, Brèves
Joël Glaziou, Harfang
Thierry Guichard, Le Matricule des anges
Bertrand Leclair, Le Monde
Michel Volkovitch, Pages d’écriture

Chapelain sur Bazot
Glaziou sur Bazot
Guichard sur Bazot Matricule des anges
Leclair sur Bazot Le Monde
Volkovitch sur Bazot

Extraits

Non assujetti à l’enchaînement sans fin du travail et des vacances, où, sans ma bibliothèque et mes brouillons, je me désagrégerais ; dépourvu de l’instinct grégaire qui me permettrait de m’amalgamer à ses frères et sœurs si je suivais dans leur maison familiale au bord de la mer Mina et nos filles au mois d’août ; par aversion pour la montagne et la neige, à la seule évocation desquelles, au souvenir exécrable d’un camp scout, je grelotte, trempé et frigorifié comme si j’y étais encore ; préposé, depuis qu’elle est entrée dans notre vie, à la garde d’Hermione, qui ne souffrirait pas d’être mise en pension ; si j’accompagne ma petite famille au départ du train de nuit dans diverses gares et l’y récupère au petit matin une ou plusieurs semaines plus tard, jamais je ne participe aux vacances communes.
Calé au fond de la méridienne, le premier meuble dont je me nantirais si j’emménageais dans une maison vide, d’où je ne m’extrais que pour me sustenter ou dormir, animé de l’insatiable fringale créée par le manque j’entreprends alors, à raison de douze heures par jour, de prodigieuses traversées, au gré de milliers de pages de romans, où la vie collective m’empêche ordinairement de m’oublier.
C’est à l’orée de telles vacances, Mina et nos filles s’en allant le soir même, qu’Hermione, vieille de trois mois, et dont je n’étais pas un fervent partisan de l’acquisition, fait ses premiers pas chez nous, où, la nuit, en quête d’un peu de chaleur elle se glisse sous mon pull et dort lovée au creux de mon cou, au bout d’une semaine de vie ainsi partagée, allongée sur mes cuisses quand je lis, sur mes épaules si je me déplace, me prend quasiment pour sa maman, de qui elle peut tout exiger.

Je joue aux échecs avec Armance, en m’efforçant de garder un équilibre entre ne pas perdre d’une manière visiblement volontaire, et ne pas l’emporter trop souvent ou facilement, en l’alertant si elle s’apprête à mettre l’une de ses pièces en danger, afin qu’elle progresse, aujourd’hui je la bats pour la première fois depuis plusieurs jours, où, à maintes reprises, elle a gagné, elle demande sa revanche, que je lui accorde volontiers, mais je commence cette deuxième partie avec une énergie mal maîtrisée et lui rafle coup sur coup une tour, un cavalier, un fou, elle essaie de se rétablir en animant son deuxième cavalier latéralement, comme une tour, ce que je lui signale ne pas être autorisé, subitement elle s’effondre, en pleurs, je mesure sa fragilité, et mon irresponsabilité, d’avoir détruit en trois gestes le semblant de confiance que j’avais mis des semaines à construire en elle.

Quatre-vingt-dix-huit fois sur cent, la mort des personnes que nous connaissons ne change strictement rien à notre vie, simplement nous ne voyons plus ces personnes, qu’il nous arrivait de côtoyer.

Armance à Mina : « Je crois que papa n’aime pas les gens.
– Pourquoi ne les aimerait-il pas ?
– Il s’en tient éloigné. »
J’aime les gens, mais de loin, en effet, assuré que trop se rapprocher sonne le glas des amitiés les plus sincères, qu’il convient, ainsi qu’on nous l’a appris en cours de gymnastique, de prendre ses distances vis-à-vis des membres de sa famille, et de les garder à l’endroit des nouvelles rencontres, auxquelles je pense avec une tendresse proportionnelle à la durée de notre séparation.
Je suis capable de véritables élans du cœur, envers des personnes que je ne connais pas, avec lesquelles je vis dans une authentique fraternité, dont je me sens l’exact contemporain, tels Osamu Dazai, Jean Rhys, Robert Walser…

Petite fille Lamiel est d’un caractère gai et espiègle, d’un esprit vif-argent, a l’air enjoué sur les photos, sa parole est facile, agile et malicieuse dans les films que nous tournons de leur enfance, puis, sans que nous puissions précisément dater ce glissement, se ferme, devient mélancolique, secrète et silencieuse.
Je ne suis que rires, vitalité et légèreté sur les photos de moi enfant. Sur celles où j’ai neuf ans, la félicité a disparu, l’heure est à l’ennui et à la morosité.
Comme le manque de joie de vivre de mes parents a pu éteindre mon allégresse, de la pétulance de notre fille notre pesanteur a-t-elle eu raison ?

Lors que j’ai philosophé assez longtemps dans les musées pour avoir droit à une indemnité à la suite de la perte d’un emploi, par solidarité envers la femme du chômeur inconnu, lequel va, grâce à moi, retrouver un gagne-pain, à l’issue de mon contrat à durée déterminée je n’en sollicite pas un nouveau, et, tel un actionnaire qui prend ses bénéfices, je m’inscris au chômage, où je pointe religieusement, sans omettre, durant cette période où je puis mieux me vouer à mon art, afin d’éviter que ne me radie quelque chargé d’insertion qui n’aurait pas réfléchi au fonctionnement du marché du travail, simple jeu de chaises musicales, de répondre à moult offres d’emploi, qui me procurent de délicieux frissons d’effroi quand je m’imagine en « chef de projet marketing » ou « responsable développement », grâce à Dieu se soldent ordinairement par un rejet de ma candidature, auxquelles, dans le cas où, malgré mes efforts, mon profil intéresse, j’obvie en regrettant vivement de n’être plus disponible et en souhaitant à mon employeur potentiel bonne chance dans ses recherches.

Qu’Hermione, en agriffant la robe que Mina y a suspendue après l’avoir repassée, déséquilibre le lampadaire, que je vois, comme dans un film projeté au ralenti, lentement chavirer et dont je pourrais, à portée de ma main, arrêter la trajectoire ; qu’au vernissage d’une exposition, où une volée de marches donne accès à une deuxième salle, je considère une vieille dame qui s’apprête à les redescendre mais pose son pied en porte-à-faux sur la première, trébuche et va tomber, à moins que je ne me précipite au-devant d’elle pour la rattraper, je ne bouge pas, n’entrave en aucune façon le déroulement fatal de l’événement, dont jusqu’à son terme je contemple le processus.

Sonne à notre porte un grand flandrin, aux gestes mous, clerc de notaire, se présente-t-il, messager d’une lettre officielle qui nous signifie la mort, âgée de 103 ans, de la propriétaire de l’immeuble, ainsi que la volonté de son héritière de fille de vendre la bâtisse à la découpe, c’est-à-dire par appartements, et le mandat confié au dadais, d’évaluer le prix de chaque, en vue de quoi il se promène dans nos pièces, le nez au vent, muni de nul autre instrument de mesure, puis s’en va.

Littératures

Indifférente aux démarcations de genres, la collection « Littérature » entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers, journaux, carnets, correspondances… : sans autres guides que la surprise et l’émotion, elle s’ouvre à des formes inédites, entêtantes, qu’elle enrichit en les accompagnant d’œuvres originales.

Indifferent to the dividing lines between genres, the collection « Literature » aims to represent a curious approach of the contemporary literary creation. Poesy, singular stories, diaries, notebooks, correspondence… : with no other guides than surprise and emotion, it opens up to new and enhanced forms, paired with original works of art.

Autres livres de cette collection