Claude Monet — L’Adieu au paysage

À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».

Date de publication : 7 avril 2023
Format : 12 x 15,5 cm
Poids : 75 gr.
Nombre de pages : 56
ISBN : 978-2-85035-119-8
Prix : 8 €

À l’image de la salle ovale du musée parisien de l’Orangerie où se trouvent les Nymphéas, le récit a une dimension circulaire, non-linéaire. C’est en son milieu que tout commence, alors qu’est racontée une matinée à la fondation Beyeler, dans les faubourgs de Bâle, où l’idée est venue à l’écrivain d’écrire sur le mystère des tourbillons de couleurs peints par Claude Monet. Après quoi, il se rendra au « sanctuaire » de l’Orangerie, où son regard finira par se perdre « dans ce vaste dépôt hors de soi d’un fond de l’être prenant forme dans une matérialité incertaine et floue », dans un « gouffre lumineux », où les repères ordinaires qui apprivoisent le temps et l’espace sont abolis...
L’Adieu au paysage relate ainsi un vertige devant le « paysage imprenable » des Nymphéas, devant la matière rendue à son essence brumeuse, tourbillonnante, fuyante. Les Nymphéas apparaissent peu à peu à Stéphane Lambert comme la tentative, pour le peintre, d’exprimer une fluidification religieuse de son rapport au monde, sous le signe d’un élément au cœur de l’art de Claude Monet, l’eau, occupant une « place essentielle [...] dans son œuvre en devenir », image même du devenir permanent.
Alors, s’immergeant dans la couleur comme on s’immerge dans l’eau, le peintre renoue avec une intimité perdue, divine. « Oui, le peintre cherchait, et cherchait encore, à traduire ce qui forgeait le monde réel, tapi dans son invisibilité. N’était-ce pas alors une idée de dieu qu’il pourchassait ? Un dieu unificateur et païen, puisqu’on disait le maître athée. Une puissance informelle qu’il voulait démasquer. Les œuvres opérées jusqu’à ce jour, jusqu’à ce fameux cycle des nymphéas, n’avaient servi qu’à aiguiser son regard pour percer ce mystère qu’il flairait animalement devant lui. »

Les auteurs

Stéphane Lambert, né en 1974 à Bruxelles, est romancier, poète, essayiste. Il a obtenu le Prix Roland de Jouvenel 2017 pour son livre Avant Godot, consacré aux liens entre les œuvres de Samuel Beckett et de Caspar David Friedrich, et a obtenu le prix André Malraux 2019 pour Visions de Goya. L’éclat dans le désastre (Arléa). Sur l’art, il a aussi fait paraître Mark Rothko. Rêver de ne pas être (Arléa, 2014), Nicolas de Staël. Le vertige et la foi (Arléa, 2014), Paul Klee jusqu’au fond de l’avenir (Arléa, 2021), Vincent Van Gogh. L’éternel sous l’éphémère (Arléa, à paraître). Il vient de recevoir le prix Victor Rossel pour L’Apocalypse heureuse (Arléa, 2022). Parallèlement à ses livres, Stéphane Lambert écrit des fictions et des documentaires pour France Culture, et collabore à Beaux-Arts Magazine. Il a réalisé un podcast pour le musée national Chagall à Nice, où il présentera début 2023 un accrochage conçu pour le 50e anniversaire du musée. Il travaille actuellement avec le réalisateur François Lévy-Kuentz à un film consacré à Nicolas de Staël pour Arte.
Son site Internet.

Presse

Pascal Bonafoux, Art absolument
Fabien Ribery, L’Intervalle

Bonafoux Art absolument Phalènes

Extraits

Quarante-trois ans de sa vie à Giverny. La moitié d’une existence d’homme. Mais comment calculer cela ? Les dernières années sont-elles du même calibre que les intermédiaires ? N’y a-t-il pas, passé certaines bornes, un mode silencieux au temps qui s’enclenche, ouvrant de nouvelles portes, une dimension parallèle où le décompte des jours n’est plus qu’une donnée d’apothicaire ? Une autre perspective s’est mise en marche. Elle ne concerne que la profondeur du présent. Une plongée dans l’infini de chaque seconde.

*

Dans la réalité il semblait ne voir que flots et vapeurs. Vagues successives se diluant dans un mouvement continu. Le paysage bouillonnait sous son impulsion. L’art forçait l’univers à livrer sa secrète dimension, telle une science traquant l’atome de manière acharnée. Oui, le peintre cherchait, et cherchait encore, à traduire ce qui forgeait le monde réel, tapi dans son invisibilité. N’était-ce pas alors une idée de dieu qu’il pourchassait ? Un dieu unificateur et païen, puisqu’on disait le maître athée. Une puissance informelle qu’il voulait démasquer. Les œuvres opérées jusqu’à ce jour, jusqu’à ce fameux cycle des nymphéas, n’avaient servi qu’à aiguiser son regard pour percer ce mystère qu’il flairait aimablement devant lui.

Phalènes

« Le papillon – particulièrement le phalène, ce papillon nocturne qui se glisse par la porte entrouverte, danse autour de la lumière et finit par s’y précipiter, s’y consumer – semble bien l’animal emblématique d’un certain rapport entre les mouvements de l’image et ceux du réel voire d’un certain statut, instable il va sans dire, de l’apparition comme réel de l’image. »
Georges Didi-Huberman