Tantra song fut conçu par Franck André Jamme comme une initiation aux fascinantes séries de peintures tantriques, après avoir passé plus de vingt ans en conversation avec les communautés de tantrikas du Rajasthan. Dans le sillage d’autres poètes-ethnographes comme Michel Leiris ou Georges Bataille, il portait une attention passionnée à des formes de savoir hétérodoxes, non fondées sur la seule raison. Pour lui, comme le rappelle Renaud Ego, « tout vient par le ravissement. » (Avec des contributions de Bill Berkson, Renaud Ego, André Padoux.)
Après une première édition, partielle, aux États-Unis, en 2011, Tantra Song voit le jour pour la première fois en langue française, accompagné d’un entretien avec Bill Berkson, où le poète revient sur la genèse de l’ouvrage, ainsi que de textes dus à Renaud Ego et André Padoux. Le volume donne à contempler une collection singulière de peintures tantriques, réalisées anonymement par des adeptes au Rajasthan, et utilisées pour éveiller des états de conscience élargie.
Ces peintures sont le fruit de traités religieux manuscrits et illustrés, datant du XVIIe siècle, qui ont été copiés sur plusieurs générations. Comme les musiciens jouant des ragas de la musique classique indienne, les adeptes peignent dans un état de ravissement mental, répétant et réinterprétant subtilement des structures mélodiques de lignes et de couleurs. Une fois terminées, les peintures, réalisées à la détrempe, à la gouache et à l’aquarelle sur du papier de récupération, sont accrochées au mur pour être utilisées lors d’exercices de méditation.
Franck André Jamme, devant la peinture tantrique, s’adonne quant à lui à un exercice d’écriture et de non-écriture : « Elle devient une sorte de moyen de transport, dans tous les sens du terme. On écrit soudain la main dans la main d’une image amie, qui n’est pas loin, dans l’esprit. Comme sous sa protection très aiguë. Sans stylo, sans papier, sans clavier. Moins de choses. Un peu plus de vide. Un peu plus dans le vide. On respire mieux. J’ai écrit beaucoup de choses ainsi, sans les noter, sans les écrire. »
Les auteurs
Franck André Jamme, né en 1947 et mort en 2020, est l’un des principaux poètes français contemporains et l’auteur de plus d’une douzaine de livres. Décrit par Henri Michaux comme « un écrivain d’une rare qualité », il a publié une trentaine de livres, dont La récitation de l’oubli (Fata Morgana, 1986), Pour les simples (Fata Morgana, 1987), Bois de lune (Fata Morgana, 1990), Un diamant sans étonnement (Unes, 1998), L’avantage de la parole (Unes, 1999), Encore une attaque silencieuse (Unes, 1999), Au secret (Isabelle Sauvage, 2010), L’apprenti dans le soleil (Isabelle Sauvage, 2017). Il a également collaboré avec de nombreux artistes, dont Phillippe Favier, Suzan Frecon, Acharya Vyakul et Hanns Schimansky, et traduit les œuvres de John Ashbery et de Lokenath Bhattacharya. Spécialiste de l’Art Brut et de l’art tantrique de l’Inde, il a été commissaire d’exposition au Drawing Center, au Centre Pompidou et aux Beaux-Arts de Paris, entre autres.
Presse
Entretien de Renaud Ego avec Yves Tenret, Radio Aligre [à partir de 30’)
Laurent Albarracin, Poesibao
Sabine Gignoux, La Croix
Fabien Ribery, L’Intervalle
Pascal Riou, Esprit
Christian Rosset, Diacritik
Gaëtan Supertino, Le Monde
Yves Tenret, Bon pour la tête
Extraits
« Au fond, personne au monde ne pourra jamais rêver d’une image plus brève, plus concise, comment dire ? plus distillée. Divin alcool, en somme, de l’abstraction chauffée à blanc. Plus la conscience est pure, plus le bleu de son ciel est clair. Et voilà tout. Et tout commentaire s’estompe, se perd dans la clarté même de ce ciel. » (Franck André Jamme, « Premiers pas »)
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« La substance du sens qui se dégage de la parole est d’air – l’air que l’on retrouve dans Tantra song où chaque pièce est à sa place, prenant la parole ou les yeux, capable de se tenir seule tout en étant reliée à ses sœurs. La composition de ce livre est une partition dont la musique visuelle appartient à Franck André Jamme. En cela, Tantra song est aussi un poème spatial. » (Renaud Ego, « Presque tout dans presque rien »)
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« À l’image de la parole dont il accompagne les peintures de ce livre, la voix de Franck André Jamme était pleine de réserve. Ce qu’il ne disait pas devait se déchiffrer dans les mots qu’il choisissait avec soin, ou interrompait d’un rire qui lui cillait les yeux. Chez lui, une certaine qualité de joie désignait mieux que tout la vérité qu’il recherchait toujours, pressentait souvent, atteignait parfois mais que cet homme des mots savait être liée au silence. Question de pudeur chez ce poète qui taisait sa propre mélancolie ; question d’émerveillement aussi, partagé avec celles ou ceux, et ils n’étaient pas très nombreux, qui n’allaient pas sourire de son sentiment de gratitude, devant le ravissement dont il quêtait les sources fugitives dans ses poèmes. S’il était affectueux, si sa parole se teintait aussi d’humour, il n’en était pas moins secret. Au secret est d’ailleurs le titre d’un de ses livres de poèmes, titre qu’il faut entendre comme « dédié au secret », celui-là même dont il cherchait moins à percer le chiffre qu’à en recevoir le coup d’aile, comme un battement dans l’esprit d’une immense pensée ou peut-être d’une musique. » (Renaud Ego, « En secret, Franck André Jamme »)